25/5/2023
 DANS 
SOCIÉTÉ

Paroles d'experte avec Titiou LECOQ

Dans le cadre de l'étude menée par Flashs et l'IFOP pour Depanneo.com sur le partage des petits travaux et du bricolage au sein des couples , Léa Paolacci a interviewé Titiou Lecoq, essayiste et romancière, autrice de plusieurs ouvrages sur l'égalité femmes-hommes.

Léa Paolacci (Flashs) :

Merci Titiou Lecoq d'être mon invitée pour cet entretien.

Votre livre "Libérées", aux éditions Fayard, paru il y a bientôt quatre ans, et pourtant toujours autant d'actualité, offre une série d'anecdotes, d'observations et de réflexions sur la place des femmes dans notre société, notamment au sein du foyer.

Ce qui est tout à fait en phase avec notre dernier sujet d'étude, les tâches dites "masculines" au sein du couple. Mais avant de commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Titiou Lecoq (Invitée) :

Je suis journaliste et autrice.

J'ai été journaliste pendant très longtemps, j'ai arrêté maintenant et je me concentre vraiment sur les livres.

J’ai notamment écrit des essais, beaucoup effectivement, sur les rapports d'égalité femmes-hommes dans l'histoire, dans la maison, dans plein de domaines différents.

Léa :

Globalement, au regard des données de cette enquête, y a-t-il un chiffre qui vous a surprise, étonnée, ou au contraire, les résultats vous paraissent-ils plutôt prévisibles ?

Titiou :

Sur l'ensemble des données, je trouve ça plutôt prévisible mais ce qui m'a le plus intéressée, c'est la différence de réponses entre les hommes et les femmes.

Je trouve qu'il y a quelque chose d'assez fondamental, c’est ce que j'avais déjà vu quand j'avais regardé des données pour "Libérées".

On sait que de manière générale, ce qui ressort des enquêtes, c'est que les hommes ont tendance, sur les tâches ménagères, à surestimer le temps qu'ils y consacrent et les femmes sous-estiment le temps qu'elles y passent.

Comme ce sont toujours des questions de sensation : "j'ai l'impression que c'est plutôt moi qui fais ça", on se rend compte que les réponses ne sont pas du tout les mêmes.

Sur les tâches plutôt genrées masculines, on constate la même chose, on voit que les femmes se disent qu'elles en font pas mal, et les hommes ont l'air de vraiment surestimer ce qu'ils font.

Donc font-elles des choses qu'elles ne disent pas à leur conjoint ?  Est-ce qu'il y a des espèces des tâches invisibles qu'ils ne voient pas ?

En tout cas, là, il y a un hiatus au sein des couples que je trouve particulièrement intéressant, et qui génère en général des conflits.

Léa :

En ce qui concerne la répartition des tâches en elle-même, ainsi que leur appropriation, est-ce que vous voyez un progrès dans ces résultats ou un changement des mentalités ?

Titiou :

Alors, j'y vois un progrès, mais qui est marqué depuis déjà pas mal d'années. Il y a un changement des mentalités, plutôt du côté des femmes : elles ont tendance à décloisonner les tâches genrées et il y a même maintenant une revendication à faire du bricolage.

On sait que dans leurs campagnes de pub, les grandes chaînes de bricolage ont tendance aujourd’hui à mettre en avant des femmes et à se rendre compte que ça s'est féminisé.

Donc, les femmes ont l'air d'être plutôt enclines à vouloir revendiquer qu'elles font aussi ce travail-là. Du côté des hommes, ça a moins bougé et ils continuent à considérer que c'est un peu leur pré carré. C'est ce qui ressort en tout cas de l'étude, y compris chez les plus jeunes, ce qui est assez surprenant.

Mais je pense que c'est là où il y a une articulation avec les tâches ménagères, c'est-à-dire qu'il y a l'idée que les femmes vont faire les tâches ménagères et les hommes les tâches de bricolage.

Si elles commencent à faire les tâches de bricolage, ça impliquerait assez logiquement que les hommes fassent davantage de tâches ménagères.

Je pense qu'ils se disent assez vite que, quand même, ils préfèrent rester sur des activités qui sont plus valorisantes socialement.

C'est sûr que monter un meuble, c'est plus sympa que récurer les toilettes !

Léa :

Oui et c'est d'ailleurs ce que vous disiez tout à l'heure, on note un écart intéressant entre le point de vue des femmes et celui des hommes.

Par rapport à "qui fait quoi à la maison ?", les hommes considèrent que ce sont eux qui font l'essentiel du bricolage. Donc plus de sept hommes sur dix. Mais quand on interroge les femmes, elles sont cinq sur dix seulement à le confirmer.

Comment expliquer cette différence d'appréciation ?

Titiou :

Alors c'est vraiment un trait que l'on retrouve, cette capacité des hommes à surestimer le temps qu'ils vont consacrer à quelque chose et la part qu'ils vont y prendre.

C'est également un trait que l'on retrouve dans le marché du travail par exemple.

Certes, on sait que les hommes ont tendance à postuler pour des emplois qui sont au-dessus de leurs qualifications, là où les femmes vont candidater à des emplois en dessous de leurs qualifications.

Il y a une espèce de rapport entre les deux qui fait que oui, les hommes sont quand même assez contents d'eux.

En général, ils ont l'impression d'en faire beaucoup et d'assurer et les femmes sont plus à se dire qu'elles ne font pas assez, donc à sous-estimer le volume de tâches qu'elles accomplissent.

Donc ça me paraît assez, à la fois rigolo, et en même temps cohérent avec les identités de genre classiques qu'on retrouve, y compris chez les jeunes.

Léa :

Et si les femmes, du coup, s'investissent aussi dans ces tâches de bricolage, en plus des tâches ménagères, parle-t-on plutôt d'émancipation ou de charge supplémentaire ?

Titiou :

C'est une très bonne question. Moi, je dirais les deux, c'est clair.

Il y a un truc d'émancipation de se dire "je peux faire toute seule", l'idée de "Merci IKEA, je peux monter une étagère seule".

Le féminisme doit une partie au fait qu'on peut faire du bricolage nous-mêmes, après, c'est clairement une charge supplémentaire. Mais la question, ce serait vraiment de rééquilibrer les tâches ménagères, c’est-à-dire les tâches qui sont quasiment invisibles, récurrentes, qu'il faut refaire souvent, tandis que l'étagère, il n'y a pas besoin de la remonter toutes les semaines.

Les tâches répétitives et invisibles, par exemple le ménage, ça ne se voit pas. Le ménage se voit quand il n'est pas fait, contrairement à l'étagère, donc ce n'est pas du tout le même rapport à la productivité.

Et puis il y a des tâches qui sont socialement valorisées. On sait que les tâches masculines sont plus socialement valorisées parce qu'elles se voient. Il s'agit de la construction par exemple, ou des tâches qui sont tournées vers l'extérieur. La voiture, on considère que c'est de l'extérieur. Le jardin, c'est de l'extérieur.

Donc il faudrait que ça se fasse dans l'autre sens, que les hommes investissent l'intérieur de la maison.

J'avais beaucoup travaillé là-dessus : être vraiment chez soi, se dire que c'est ma maison, c'est savoir, par exemple, où chaque chose est rangée.

Ce qui n'est pas forcément le cas dans tous les couples hétérosexuels. Et donc le fait de passer l'éponge, d'être aussi dans l'entretien des espaces de vie communs, de se dire : "c'est aussi mon salon, c'est aussi ma cuisine, ce sont aussi mes toilettes".

Et je pense que l'équilibre doit évidemment se faire dans ce sens-là. Mais c'est plus général, cela se retrouve sur toutes les sphères femmes-hommes.

Les tâches masculines sont plus valorisées parce que masculines et inversement.

Par exemple, dans les métiers, on va faire des campagnes pour inciter les filles à devenir ingénieures, à aller faire des métiers qui étaient plutôt masculins.

La vraie égalité, ce serait également de faire des campagnes pour inciter les hommes à se tourner vers des métiers plutôt féminins, des métiers du soin, du care, etc. Ce qu'on ne fait pas du tout.

On continue à se dire que l'égalité, ça va être de monter les femmes au niveau des hommes. Mais il faut repenser ce principe d'égalité et se dire que c'est aussi aux hommes de venir au niveau des femmes.

Et donc cela se retrouve parfaitement sur cette question du bricolage versus les tâches ménagères.

Léa :

Oui, et d'ailleurs selon l'enquête, les femmes sont majoritairement d'accord pour dire que les tâches qui tournent autour du bricolage ne sont pas genrées.

Mais on s'aperçoit que 37 % des hommes refusent que leur conjointe fasse des petits travaux.

Alors, est-ce par crainte que cela puisse remettre en question la masculinité et la valorisation qu'ils tirent de ces tâches, contrairement aux tâches ménagères quotidiennes qu’ils sont réticents à assumer ?

Titiou :

Oui, je pense que c'est ça et on sait que dans la totalité des choses qu'il faut faire dans une maison, les hommes vont avoir tendance à choisir ce qui leur plaît le plus.

Et les femmes se disent "j'ai déjà de la chance qu'ils fassent un truc, donc je le laisse choisir, et puis moi, je ferai les trucs qu'il n'a pas voulu faire".

Je pense que la répartition se fait aussi ainsi. Plus une tâche est rebutante pour les deux, plus ce sont les femmes qui vont la prendre en charge.

Comme il y a cette idée que les hommes vont spontanément moins en faire, on leur laisse le choix. C'est donc là où ils se disent oui, le bricolage, c'est plus sympa.

Léa :

Effectivement.

Pour conclure cet entretien, quel conseil donneriez-vous aux femmes, et même aux hommes, pour qui le sujet du partage des tâches est difficile au sein du couple ?

Titiou :

Alors mon premier conseil, c'est d'avoir, et ça va vous parler, des données.

Plutôt que dire "j'ai l'impression que ...", si les deux n'ont pas la même impression, et c'est ce qui ressort de l'étude, on ne peut pas avancer dans une discussion.

"J'ai l'impression que j'en fais plus. Moi aussi, j'ai l'impression que j'en fais plus", ça ne fonctionne pas. Donc le premier conseil, c'est de chiffrer.

Vous pouvez chronométrer par semaine, ou sur un mois, ou même un trimestre combien de temps chacun s'est consacré à des tâches liées à la maison, en y incluant également le bricolage, la voiture, etc.

Et à partir de là, vous avez des vraies données que les deux peuvent partager. Ils vont voir apparaître forcément des choses auxquelles ils ne s'attendent pas.

Et donc à partir de là, on peut commencer une discussion.

Léa :

Tout à fait, d'où l'approche factuelle de la statistique.

C'est la fin de cet entretien.

Merci Titiou Lecoq.

Titiou :

Merci à vous.

Interview menée par Léa Paolacci.