Étude diffusée en avril 2023
Les gamers sont-ils sexistes ?
Dans un univers vidéoludique toujours imprégné de préjugés sexistes chez de nombreux « gameurs », notamment les plus assidus, les femmes qui jouent en ligne essuient régulièrement remarques misogynes, critiques sur leur physique, insultes, voire menaces à caractère sexuel.
Dénoncés encore récemment par des streameuses reconnues telles Maghla et Ultia, ces comportements touchent également des millions de joueuses anonymes - plus de 6 Françaises sur 10 jouent aujourd’hui à des jeux vidéo - qui usent souvent de stratagèmes pour éviter les échanges ou ne pas dévoiler leur genre.
Cette réalité inquiétante, l’enquête commandée à l’IFOP par Flashs et le site spécialisé GamerTop.fr la traduit en données précises grâce à un questionnement de grande envergure mené auprès de plus 4 000 joueurs et joueuses en France.
Une pratique qui s’est largement démocratisée…
Longtemps assimilée à un public jeune et masculin, la pratique des jeux vidéo s’est largement démocratisée dans tous les pans de la société française. Aujourd’hui, la proportion de femmes s’y adonnant est presque identique à celle des hommes, mais leur usage assidu est toujours largement plus l’apanage des hommes.
- 79% des Français disent avoir déjà joué à des jeux vidéo et près des deux tiers (64%) sont actuellement actifs.
- 62% des femmes y jouent, un chiffre proche des 66% d’hommes qui sont dans ce cas.
- Chez les 15-24 ans, la proportion de joueuses grimpe à 84%, celle des joueurs à 88%,
- 47% des femmes qui jouent aux jeux vidéo peuvent être qualifiées de joueuses hardcores, un chiffre bien inférieur à celui des hommes (65%).
… mais que les femmes ont plus de mal à assumer que les hommes
Si elles jouent autant que les hommes, les femmes ont en revanche plus de difficultés à assumer dans leurs relations sociales leur intérêt pour les jeux vidéo. C’est plus particulièrement le cas en fonction du type de jeux pratiqués, à l’exemple des jeux de combat. Elles ont aussi plus de mal que leurs homologues masculins à se définir comme « gameuses ».
- 17% des joueurs et des joueuses ont déjà dissimulé leur passion à leur entourage.
- Près de la moitié (46%) des femmes qui aiment les jeux de combat préfèrent ne pas l’évoquer avec au moins un cercle relationnel. Le milieu professionnel est celui suscite le plus de réticences, un tiers (34%) des répondantes disant ne pas y partager leur engouement pour ce style de jeux.
- Les hommes sont globalement moins soumis à cette crainte de l’image renvoyée par un amateur de jeux vidéo supposés « violents ». Ainsi, ils sont 36%, soit 10 points de moins que les femmes, à masquer leur pratique des jeux de combat à au moins un cercle relationnel. Et ils ont plus tendance à la dissimuler à quelqu’un qui leur plait (25%) que dans leur milieu professionnel (22%).
Les hommes cachent moins leur pratique de jeux vidéo violents que les femmes. Seulement 36% d'entre eux le cachent à leur cercle social, soit 10 points de moins que les femmes. 25% des hommes cachent leur pratique de jeux vidéo violents à quelqu'un qui leur plait, tandis que 22% la cachent dans leur milieu professionnel.
- Parmi les joueuses et joueurs actifs, les hommes sont deux fois plus nombreux à se sentir « gameurs » (29%) que les femmes à se vivre en tant que « gameuses » (15%). L’écart se creuse considérablement en fonction des tranches d’âge interrogées : 62% des jeunes hommes de 15 à 24 ans se définissent ainsi contre seulement 24% des jeunes femmes.
Des préjugés sexistes encore très prégnants chez de nombreux joueurs
Plus que ceux qui ne revendiquent pas cette étiquette, les hommes qui se disent « gameurs » ou « très gameurs » ont tendance à répondre positivement à des stéréotypes sexistes en matière de séduction, de sexualité ou encore de vie familiale et professionnelle.
- Plus que ceux qui ne revendiquent pas cette étiquette, les hommes qui se disent « gameurs » ou « très gameurs » ont tendance à répondre positivement à des stéréotypes sexistes en matière de séduction, de sexualité ou encore de vie familiale et professionnelle.
- Plus d’un joueur sur cinq (21%) se disant « très gameur » estime que « Lorsqu’on veut avoir une relation sexuelle avec elles, beaucoup de femmes disent « non » mais ça veut dire « oui » »,
- Une proportion plus importance encore (29%) estime qu’il relève de la liberté d’importuner une femme lorsqu’on veut la séduire, soit trois fois plus (11%) que chez ceux qui ne se considèrent pas comme « gameurs »,
- Pour 28% des « très gameurs » et 22% des « gameurs », le rôle de l’homme est de gagner de l’argent et celui de la femme de s’occuper de la maison et de la famille.
- Enfin, pour clore ce florilège des préjugés toxiques, près d’un tiers (30%) des « très gameurs » jugent que les femmes ont acquis trop de pouvoir dans la société actuelle….
Face à la violence, les femmes jouent l’évitement ou la dissimulation
Au regard de ce constat, il n’est donc guère étonnant que les femmes soient victimes de moqueries, d’insultes, de remarques sur leur physique ou encore de menaces que lorsqu’elles interagissent avec certains joueurs, ainsi que l’ont dénoncé encore récemment de nombreuses streameuses. Face à ces situations particulièrement odieuses et inconfortables, un nombre non négligeable d’entre elles adoptent des stratégies d’évitement et de dissimulation.
- Près de la moitié des joueuses (40%) ayant des interactions avec d’autres joueurs ont été victimes d’une forme ou d’une autre de sexisme.
- Les femmes adeptes de jeux de combat et de jeux MMORPG (jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs, comme World of Warcraft par exemple) sont très concernées par ce phénomène puisque respectivement 66% et 56% disent en avoir été la cible.
- Les situations les plus courantes consistent en des critiques sur le physique (24%), des critiques à caractère sexiste sur leur niveau de jeu (23%), des propos obscènes ou des commentaires à caractère sexuels (23%), ou encore des remarques, insultes ou injures sexistes (22%).
- Afin de ne pas être confrontées à de telles situations, 4 joueuses sur 10 ont déjà adopté au moins une stratégie d’évitement, comme refuser de participer à un chat vocal (30%), ne pas jouer en ligne (23%) ou cacher le fait d’être une femme (16%).
- Là encore, les pratiquantes de jeux de combat ou MMORPG sont les plus concernées. Ainsi, près d’une fan de jeux de combat sur deux (46%) a déjà caché son genre aux personnes avec lesquelles elle jouait.
Le point de vue d’Enora Lanoë-Danel, de l’IFOP
« Cette étude confirme tout d’abord que la pratique du jeu vidéo s’est largement banalisée dans notre société puisque près de 8 Français sur 10 y ont déjà joué et plus de 6 sur 10 y jouent actuellement. Mais la communauté des « véritables gameurs », reste un environnement à dominante masculine. Il est intéressant de constater que les hommes jouant aux jeux vidéo se disent plus féministes que ceux qui ne le sont pas, mais quand on rentre dans le détail des stéréotypes genrés qui leur sont proposés, on s’aperçoit que l’on revient sur des bases assez sexistes selon leurs modes de jeux et la fréquence à laquelle ils jouent.
Ce sexisme, les femmes en sont régulièrement victimes dans leur pratique du jeu vidéo – qu’il s’agisse de remarques sur leur physique, de critiques sur leurs compétences, voire de menaces beaucoup plus graves. Cela explique notamment le fait qu’elles hésitent à se présenter comme « gameuses » et à se reconnaître comme étant de bonnes joueuses. Nombre d’entre elles évitent d’être confrontées à des situations qui peuvent être compliquées, soit en cachant qu’elles sont des femmes, soit en ne jouant tout simplement pas à certains jeux dont les communautés sont connues pour leurs coutumes toxiques et leurs insultes faciles.
Quand bien même la pratique du jeu vidéo s’est démocratisée et relativement féminisée, cette enquête montre qu’il reste, comme dans bien d'autres domaines de la société, du chemin à faire pour faire tomber les stéréotypes liés au genre dans l’univers vidéoludique. »
Enquête menée par l’IFOP pour GamerTop.fr du 17 au 23 mars 2023 par questionnaire autoadministré auprès d’un échantillon de 5 009 personnes, représentatif de la population française âgée de plus de 15 ans. Au sein de cet échantillon ont été interrogés 4 018 joueurs (actuels ou passés) de jeux vidéo dont 3 251 joueurs actifs au cours des trois derniers mois.
Photo : Roadnae Productions